Thème principal du 3ème congrès multidisciplinaire RNPC, qui s’est déroulé le 1er juillet 2023 à Marseille devant un auditoire essentiellement composé de médecins et de diététiciens, la découverte de la présence de graisse dite « ectopique » dans une multitude d’organes tels que le cœur, le foie et le pancréas a révolutionné notre connaissance de la physiopathologie des maladies cardiométaboliques associées à la surcharge pondérale.
Le concept de l’ectopie
La répartition anatomique de l’excès de graisse joue un rôle déterminant dans la survenue des complications de la surcharge pondérale. Alors que les travaux du Prof. Jean Vague au XXe siècle ont mis en lumière l’importance de la distribution régionale de la graisse, ceux du Prof. Jean-Pierre Després au siècle suivant ont introduit le concept plus général de l’ectopie.
La graisse ectopique correspond à l’accumulation de graisse dans des sites anatomiques non classiquement associés au stockage de lipides.
On distingue deux types de dépôts ectopiques :
- Les tissus adipeux ectopiques comme par exemple le tissu adipeux épicardique, le tissu adipeux périvasculaire, et le tissu adipeux périrénal ;
- L’accumulation de triglycérides dans des cellules non adipeuses ou stéatose.
Le développement de la graisse dans des sites ectopiques comme le cœur, le foie, le pancréas, le rein participe aux complications de la surcharge pondérale via la dysfonction d’organe.
L’hypothèse de la surcharge lipidique
Si le flux d’acides gras est trop important (généralement en raison d’une alimentation trop riche en calories, graisses et/ou sucres) et si les capacités de stockage du tissu adipeux sous-cutané sont dépassées, les lipides sont redirigés vers d’autres lieux de stockage dits « non physiologiques » car leur structure anatomique n’a pas été conçue pour cette fonction. Des dépôts ectopiques de lipides apparaissent ainsi dans le mésentère (tissu adipeux dit viscéral), le foie, le muscle, le cœur, le rein, et même dans les cellules bêta (cellules sécrétrices d’insuline) du pancréas.
Foyers ectopiques de graisses et maladies métaboliques
L’excès d’acides gras et la dysrégulation de leur flux et de leur métabolisme altèrent dramatiquement le fonctionnement des organes concernés par l’accumulation de graisse ectopique, laquelle est directement ou indirectement impliquée dans la survenue, le développement ou la complication de toutes les maladies métaboliques associées à l’obésité abdominale.
Maladies cardiovasculaires
Le tissu adipeux épicardique se développe autour du cœur, entre le feuillet interne du péricarde et le myocarde. Il est particulièrement délétère car au contact direct des artères coronaires et du muscle cardiaque.
De nombreuses études ont montré que l’accumulation de ce tissu adipeux est associée au risque de développer un infarctus du myocarde (coronaropathie) et d’avoir un trouble du rythme cardiaque (fibrillation auriculaire surtout). En effet, les produits de sécrétion du tissu adipeux épicardique, particulièrement inflammatoires et athérogènes pourraient participer au développement de l’athérosclérose coronaire et à la dysfonction endothéliale coronaire.
La stéatose cardiaque, c’est-à-dire l’accumulation excessive de triglycérides à l’intérieur même les cardiomyocytes peut également conduire à une perte de fonction de ces cellules, et donc à l’apparition d’anomalies de la fonction cardiaque notamment impliquées dans la cardiomyopathie.
Stéatohépatite métabolique (ou MASH)
Le foie est un organe très central en raison de son importance dans le métabolisme des triglycérides. Un déséquilibre du métabolisme lipidique peut donc provoquer une stéatose hépatique, soit une accumulation de graisse sous forme de triglycérides dans le foie. La maladie qui en résulte est connue sous le nom très évocateur de “maladie du foie gras humain”. Cette stéatose peut s’accompagner d’une inflammation et d’une fibrose, rendant la maladie plus sérieuse ; on parle alors de stéatohépatite métabolique, ou MASH (pour Metabolic dysfunction-Associated SteatoHepatitis).
L’inflammation qui se développe dans un foie stéatosé, c’est-à-dire envahi de graisses, entraine la libération de molécules inflammatoires délétères pour les hépatocytes (cellules du foie). Celles-ci meurent progressivement pour être remplacées par un tissu fibreux cicatriciel. Au fur et à mesure que cette fibrose se développe, le foie est de moins en moins capable d’assurer ses fonctions biologiques, jusqu’à ce que le patient soit atteint d’insuffisance hépatique.
Insulinorésistance et diabète de type 2
L’accumulation de triglycérides intra-musculaires (stéatose musculaire) est associée à une baisse du transport et de l’utilisation du glucose et donc de la sensibilité à l’insuline des cellules musculaires. L’insulinorésistance musculaire représente une des causes essentielles du syndrome métabolique et du diabète.
Aujourd’hui, on sait que le pancréas peut, tout comme son voisin le foie, accumuler des graisses. Un dépôt excessif de graisse intrapancréatique est associé à un processus d’apoptose des cellules bêta pancréatiques, ce qui favorise la survenue du diabète.
Foyers ectopiques de graisses et médicaments
Exemple de l’effet d’une accumulation excessive de graisses dans les organes impliqués dans la régulation de la pression artérielle sur le mécanisme d’action des médicaments antihypertenseurs (voir figure)
Le tissu adipeux viscéral est en fait un véritable organe endocrine et paracrine sécrétant environ 600 adipokines parmi lesquelles l’angiotensine-II, une substance peptidique à l’action vasoconstrictrice très puissante. Cela signifie qu’il existe un système autonome et parallèle qui sécrète en permanence de l’angiotensine-II, alors même que les médecins prescrivent à leurs patients hypertendus des médicaments luttant contre la synthèse physiologique de cette substance (inhibiteurs de l’enzyme de conversion ; IEC) ou contre sa fixation sur ses récepteurs (antagonistes des récepteurs de l’angiotensine-II ; ARA-II).
Par ailleurs, l’apparition et l’expansion des foyers ectopiques de graisse altère fondamentalement l’activité des médicaments antihypertenseurs. Les bêta-bloquants par exemple, qui sont censés se fixer sur les récepteurs bêta cardiaques, atteignent plus difficilement leurs cibles. Quant aux antagonistes calciques, dont le rôle est de dilater les artères coronaires et périphériques, leur efficacité est diminuée à cause de la présence de plaques d’athérome, dépôts graisseux qui obstruent et rigidifient les parois artérielles. Même constat pour les diurétiques dont le mécanisme d’action est contré par la présence de graisse au niveau de leur organe cible, le rein.
Enfin, la majorité de ces médicaments sont des prodrogues qui nécessitent un effet de premier passage hépatique pour générer une molécule active. Comme le foie est lui-même stéatosé , la pharmacocinétique de ces médicaments est modifiée et leur biodisponibilité diminuée. Cela signifie que non seulement moins de principes actifs circulent dans l’organisme, mais le peu de principes actifs qui atteignent finalement leurs cibles ne peuvent de toutes façons pas exercer pleinement leur effet thérapeutique.
Toutes ces raisons pourraient expliquer l’augmentation des cas d’hypertension résistante depuis 40 ans.
Figure : Représentation synthétique de l’effet d’une accumulation excessive de graisses dans les organes impliqués dans la régulation de la pression artérielle sur le mécanisme d’action des médicaments antihypertenseurs
Comment débarrasser son organisme de cette graisse ectopique ?
En perdant du poids grâce à l’application de règles hygiéno-diététiques strictes associant un régime alimentaire hypocalorique pauvre en graisses et surtout en sucres à la pratique régulière d’une activité physique d’intensité modérée. La perte de 10 à 15 % du poids corporel initial peut avoir un effet remarquablement complet sur l’ensemble des pathologies en lien avec la surcharge pondérale en débarrassant notamment les organes de leur surcharge lipidique.